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Les Carnets du vicomte

Les Carnets du vicomte

Les cours de littérature n'étant pas réservés à des jeunes gens, et mes remarques sur la langue française nécessitant d'être partagées, j'ai cru bon de les transmettre par le biais de ces carnets.


Comprendre les registres de textes

Publié par Le vicomte sur 5 Septembre 2010, 08:41am

18. « Comprendre les registres de textes » Publié(e) : lun 15 oct 2007 17:13 CEST

 

Les registres

 

                L’analyse des textes littéraires, et par conséquent leur commentaire, repose sur des notions précises. L’analyse énonciative des textes donne accès à des catégories (classe dans laquelle on range les objets de même nature) appelées registres.  Ce terme a été choisi, plutôt que tonalité, en référence à la musique, où il désigne, pour l’orgue, la commande de chacun des jeux, et pour le chant, chacun des étages de la voix. Le registre d’un texte, c’est une « catégorie de perception et de représentation du monde »[1] véhiculée par le texte tel qu’il a été composé par l’auteur.

                Cette notion, très fréquemment invoquée dans le secondaire en français, est en lien direct avec les genres, tels qu’ils sont connus depuis l’Antiquité. Chaque registre, en effet, repose sur une émotion qu’un genre est censé transmettre au récepteur du texte[2]. L’ambition de cette notion revient donc à trouver les éléments stylistiques (grammaticaux, lexicaux, rhétoriques, rythmiques, structurels, textuels, énonciatifs) qui concourent à manifester une émotion par la réception du texte.

                Cependant, derrière cette apparente simplicité (registre = émotion véhiculée par le texte), se cache une certaine complexité. En effet, la littérature n’est pas réductible à une formule, et les registres, comme catégories émotionnelles, sont souvent réduits à des formules figées et, par conséquent, inopérantes. Les spécialistes, d’une part, ne s’entendent pas exactement sur ce qu’il faut appeler un registre (registre réaliste ? dramatique ? ironique ?) et classent comme relevant de certains registres des textes qui ne transmettent que vaguement une émotion (registre didactique ? registre satirique ?). Mais les élèves, d’autre part, souvent peu rigoureux et prompts à s’en tenir à une étiquette simpliste qui leur évite d’analyser méthodiquement le texte, se reposent sur cette notion qu’ils réduisent à rien, la caricaturant parfois jusqu’à la rendre fausse. Si les registres peuvent être utiles, c’est à condition de ne pas les caricaturer et de comprendre que ce sont des catégories aux frontières perméables.

                Il s’ensuit qu’il faut non seulement bien les définir, mais aussi y voir un ensemble de procédés stylistiques et connaître les ressemblances de l’un à l’autre pour bien les distinguer.

 

Définir les registres

            La liste des registres est longue mais pas interminable. Elle se doit surtout d’être raisonnée. Nous considérerons ainsi comme registres des catégories émotionnelles dont relèvent les textes du fait des procédés que l’auteur y a utilisés pour traduire la perception et la représentation du monde qu’il a voulu y configurer. Tout dépend donc de la volonté de l’auteur.

               

comique : Relèvent de ce registre les textes dont l’objectif est d’amuser, de faire sourire ou rire.

didactique : Relèvent de ce registre les textes qui suscitent la curiosité liée à la transmission et à l’organisation des connaissances.

élégiaque : Relèvent de ce registre les textes qui, reposant sur la complainte liée au deuil, à la solitude, sollicitent la tristesse et la nostalgie [cf. Remarque 1, ci-après]

épidictique : Relèvent de ce registre tous les textes qui ont l’objectif de mettre en valeur les qualités ou les défauts de quelqu’un ou de quelque chose (discours d’éloge et de blâme). L’éloge suscite l’admiration, l’émulation, l’enthousiasme. Le blâme, en revanche, soulève l’indignation, le dégoût, la désapprobation.

épique : Relèvent de ce registre tous les textes qui ont pour ambition de faire admirer les qualités surhumaines d’un héros en situation de guerre ou de combat contre un élément naturel, un monstre.

fantastique : Relèvent de ce registre les textes qui suscitent la peur et l’angoisse, par l’intrusion d’éléments supra- ou antinaturels laissant un doute à propos des représentations établies.

lyrique : Relèvent de ce registre les textes qui renvoient à une expression personnelle, dans des conditions qui mettent en valeur le je et les sentiments qu’il éprouve, et par le biais d’une musique textuelle prépondérante.

pathétique : Relèvent de ce registre les textes qui sollicitent la pitié, la compassion à l’égard d’un individu souffrant d’une situation douloureuse contre laquelle il ne peut rien et où il se trouve en situation de faiblesse.

polémique : Relèvent de ce registre les textes où s'affrontent des points de vue, de manière plus ou moins violente, sollicitant la colère, l'indignation voire la haine.

satirique : Relèvent de ce registre les textes visant, par la moquerie, à dénoncer les vices et les folies des hommes dans une intention morale.

tragique : Relèvent de ce registre les textes où domine la fatalité, sur un ou des personnages, contre laquelle, bien que conscient(s) de ne pouvoir rien faire contre elle, il(s) se rebelle(nt), défiant le principe qui les dépasse (une divinité notamment, un pouvoir, la Loi...).

 

Certains manuels proposent d'autres registres, parfois beaucoup plus que cette liste restrictive. Une explication à cette restriction volontaire s'impose. D'abord, celle-ci correspond aux textes officiels concernant l'enseignement du français. L'inspection générale (organisme chargé des questions liées à l'enseignement disciplinaire), repousse l'hypothèse d'un registre réaliste et s'avoue perplexe quant au dramatique.

Le réalisme est avant tout un mode d'écriture, et n'est pas lié à une émotion ; c'est pourquoi il n'est pas considéré comme un registre.

Pour le dramatique, il y a deux causes. D'une part, la rhétorique compte, parmi ses procédés, la suspension et la sustentation, figures qui mettent le lecteur ou l'auditeur en attente (par des procédés grammaticaux d'allongement des phrases ou par l'allongement du récit suivi d'une brusque et surprenante accélération). On parlera donc plus facilement de dramatisation. D'autre part, les registres présentés sont tous liés à un genre dont ils sont un mode de réécriture en dehors de leur cadre générique d'origine. En littérature, on parle de drame pour désigner un genre mixte entre tragédie et comédie, sérieux mais non tragique. Il serait donc possible de parler de registre dramatique, mais la place entre le tragique et le pathétique n'est pas aisée à trouver. Il serait possible de trouver des textes où domine l'idée de danger, où un événement catastrophique serait mis en valeur par son irruption soudaine, mais l'attitude du héros serait digne du tragique ou du pathétique. Le registre dramatique n'apporterait donc rien de plus que ces deux-là, et l'on parle trop peu, par ailleurs de dramatisation.

L'ironie est un procédé qui rassemble plusieurs figures par lesquelles on peut faire entendre au récepteur du message le message inverse à celui qu'on énonce. Ce procédé n'est pas directement lié à une émotion, et il est utilisé dans le polémique comme dans le satirique.

 

Remarque 1 : Il est proposé un registre élégiaque, dans la mesure où l'élégie est un genre antique, et où des textes portant sur des sentiments douloureux, sur une hantise ou un deuil ne peuvent être considérés ni comme complètement lyriques, ni comme complètement pathétiques.

Remarque 2 : Compte tenu des hésitations des spécialistes, en dehors de cette liste, il est préférable de ne pas aller plus loin, même si certaines autres propositions pourraient paraître recevables. J'ai forgé celle-ci à partir d'ouvrages exigeants, réputés pour leur caractère méthodique. Chacune de ces définitions est à prendre comme un ensemble de traits définitoires, nécessaires et insuffisants dès qu'ils sont isolés. Des exemples d'erreurs à ne pas commettre suivront.

 

Comprendre les registres

Remarques préalables

                Les registres ont quelque chose d'exaspérant, lorsqu'ils sont vus avec l'expérience. Pensés comme des outils d'analyse, rapprochés d'un héritage rhétorique antique, ils avaient tout pour constituer des notions efficaces. Cependant, si bien pensé que soit un outil, lorsqu'il est pris en main par un paresseux, un individu de mauvaise foi ou un incompétent, il passe invariablement pour une étiquette caricaturale, un engin complexe et inutile ou une coquille vide de sa substance. Ces défauts des utilisateurs potentiels que sont les élèves seraient faciles à éviter si ces derniers prenaient la peine de s'y pencher un peu, et s'ils avaient la bonne foi et/ou la jugeote de les considérer pour ce qu'ils sont : des outils d'analyse.

                Le destinataire de cette notion parfois complexe, du moins raffinée, a si bien été pris en compte qu'on a perdu, y compris dans les manuels, le sens des nuances et de la justesse, pour ne pas dire de la méthode[3]. C'est ainsi que certains versent sans honte dans la caricature la plus absurde, et la plus pernicieuse pour les élèves qui n'ont ni les compétences ni la vertu suffisante pour mettre en doute les propos qui sont censés faire autorité. L'on fait, par exemple, de la mort le critère absolu de détection du tragique, du sentiment celui du lyrique, et du héros valeureux celui de l'épique. Ces éléments, isolés, sont le plus souvent des pièges dans lesquels les élèves tombent si facilement que c'en est presque un désespoir. Ce problème de méthode se règle assez rapidement. Plus grave, aucun manuel que je connaisse (mais je ne les connais pas tous) ne se livre à une définition par contraste, la plus efficace lorsque des éléments sont proches. Enfin, le registre satirique pose un problème d'interprétation dans la mesure où, parent en cela de l'ironie, il est le plus souvent de second degré. Un texte apparemment épique, dès lors que le héros est un être chétif et ses exploits de petite envergure ne peut être que burlesque (donc satirique). Le registre satirique est souvent lié à une réécriture parodique : il y a des parodies de tous les registres. N'oublions pas, pour clore ces remarques préalables, que plusieurs registres peuvent se succéder dans un texte, notamment à cause des similitudes entre certains. Un héros se rebellant contre son sort peut, finalement, lâcher prise et susciter la pitié (et le texte passer du tragique au pathétique). Ces successions de registres, voire les hésitations entre l'un et l'autre, sont à exploiter dans un commentaire. Nul n'est besoin, dès lors que l'hésitation est avérée, de choisir en aveugle. Ce serait appauvrir les textes littéraires qui, souvent, mettent en difficulté les notions propres et époussetées mises en œuvre pour les analyser.

 

 

 

 

Quelques « couples orageux »

  • comique / satirique :

      Faire rire et se moquer sont très proches en apparence. Les textes satiriques sont quelquefois très drôles. Quant aux textes comiques, ils reposent souvent sur la ridiculisation d'un personnage. Dans ce cas, faut-il les considérer comme équivalents ?

Les textes satiriques ont pour fondement la moquerie. Ils mettent en scène un personnage ridicule qui devient la cible de ceux qui l'observent. Ce sont donc souvent des textes narratifs où se mêle de la description. D'autre part, ils portent souvent sur la comédie sociale (tels, notamment, Les Caractères de La Bruyère).

Les textes comiques sont ceux qui ont pour unique objectif de faire rire, d'amuser. Il importe de ne pas les confondre avec la comédie (cf. Genres et registres, ci-après). Lorsque la dérision contribue à ridiculiser un type spécifique, le texte est satirique.

Lorsqu'un sujet sérieux est traité par le ridicule, on dit qu'il est burlesque. Mais est-ce là un mode d'écriture qui relève du satirique ou du comique ? Précisément, il s'agit d'un mode, et non d'un registre, et comme le réalisme ou l'ironie, il ne ressortit pas spécifiquement à un genre ou à un autre, même s'il se cantonne naturellement aux registres plaisants (comique, satirique).

  • satirique / polémique :

Il n'est pas rare qu'un texte écrit dans l'intention de nuire à l'adversaire utilise la moquerie pour le disqualifier.

C'est ainsi que les textes polémiques peuvent ressembler aux textes satiriques. D'ailleurs, les textes satiriques, même non argumentatifs par essence, peuvent implicitement avoir une intention polémique. C'est dans l'argumentation qu'est le critère distinctif. Les textes polémiques, parce qu'ils constituent un combat par les mots, peuvent s'aider de passages satiriques pour disqualifier l'adversaire.

  • satirique / épidictique (blâme) :

Il y a moins de marge de manœuvre entre ces deux registres qu'entre les deux précédents. Certains manuels traitent d'ailleurs ces deux-là en même temps. Il y a dans le blâme une intention de critiquer, de présenter objectivement les défauts, qui n'existe nullement dans le registre satirique. Le satirique constitue une moquerie, met en valeur une intention railleuse qui use volontiers de la caricature (déformation volontaire et visible des défauts) et se signale par une forme de comique (sourire satirique). En outre, le satirique use de l'ironie et du pastiche. Le blâme est sérieux, et diffère par ailleurs du polémique par l'absence de prise de position argumentative. C'est toujours un texte descriptif. Nous voyons ainsi qu'un éloge ironique fait partie du registre satirique.

 

Remarque : Sans doute ces difficultés seraient-elles réglées si l'on considérait le parodique comme un mode, plutôt que comme un registre. C'est justifiable dans la mesure où, proche parent de l'ironie, le parodique peut toucher tous les registres. Les réécritures plaisantes (= parodiques) peuvent en effet les concerner tous. C'est ce mode de réécriture qu'on appelait au XVIIe s. le burlesque, qui est une « dégradation comique ».

  • pathétique / tragique :

Ces deux registres supposent une situation difficile, mais diffèrent par l'attitude du héros. Faible dans le pathétique, il est en position de force dans le tragique. Par ailleurs, la fatalité domine dans le tragique, alors que dans le pathétique l'objectif est d'attirer la compassion d'un témoin.

  • pathétique / lyrique :

Ces deux registres sont proches parce que liés aux émotions éprouvées par le personnage énonciateur. Mais le lyrique est la mise en valeur des émotions personnelles, alors que le pathétique est lié à la souffrance. Le héros lyrique est seul ou solitaire, alors que le héros pathétique expose sa souffrance à un témoin. Proche de ces deux-là, il y a l'élégiaque, lié à la complainte (souffrance due à la perte d'êtres chers, à la mort).

  • didactique / polémique :

Les textes argumentatifs ne sont pas tous polémiques. Lorsqu'ils opposent violemment deux thèses, ils le sont bien, mais sinon, notamment lorsque domine l'intention de faire partager le plaisir de connaître, ils sont didactiques. Une difficulté liée au burlesque peut s'associer à celle-ci, dans la mesure où un texte didactique peut être ironique (démonstration paradoxale, en décalage avec les représentations de l'opinion commune).

 

Genres, types de textes et registres

                Puisque les registres sont des formes de réécritures, il est logique qu'ils soient en lien avec certains genres. Néanmoins, il est essentiel de ne pas confondre genre et registre. La tragédie n'est pas continûment tragique (il y a des passages pathétiques, épiques). La comédie peut être satirique. Quant aux genres argumentatifs, si certains sont essentiellement polémiques (tel le pamphlet), d'autres sont didactiques. N'oublions pas que les narrations et les dialogues à visée argumentative peuvent relever de tous les registres. Quant au lyrisme il affecte la poésie et l'autobiographie.

                Les registres ont des affinités avec certains types de textes. Le polémique et le didactique sont liés à l'argumentation. L'épidictique et le satirique se retrouvent dans la description. L'épique suppose une narration longue (epos en grec).



[1]              Cf. Dictionnaire du littéraire (2002) P. Aron, D. Saint-Jacques, A. Viala ; art. “Registres”, p. 510.

[2]              Pour des raisons de commodité, et selon une convention linguistique, nous adopterons ce mot pour désigner toute production verbale (écrite ou orale).

[3]              Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les documents officiels distribués aux professeurs de lycée l'année dernière au sujet du programme.

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