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Les Carnets du vicomte

Les Carnets du vicomte

Les cours de littérature n'étant pas réservés à des jeunes gens, et mes remarques sur la langue française nécessitant d'être partagées, j'ai cru bon de les transmettre par le biais de ces carnets.


Des pudenda aux stupra dans la poésie du XIXe siècle (II)

Publié par Le vicomte sur 5 Septembre 2010, 09:37am

50. « Des pudenda aux stupra dans la poésie du XIXe siècle (II) » Publié(e) : mer 20 fév 2008 19:38 CET

 

2. Analyse du poème

a. premier quatrain

premier vers : « Puis la Vierge n’est plus que la vierge du livre »

La continuité entre les poèmes de cette section est très nette. Elle est marquée avant tout dans le v. 1 par l’utilisation de l’adverbe Puis, connecteur temporel. Celui-ci suggère d’autre part une progression dans la narration, le passage à une étape nouvelle et, pour tout dire, une dégradation. La continuité est aussi thématique et lexicale, ce que suffit à montrer l’étude du titre (faite dans les remarques générales 1, premier point). « La Vierge » au v. 1 n’est autre qu’une anaphore fidèle du personnage désigné par une périphrase mystique au v. 16 du poème précédent (III)[1]. Le personnel biblique est déjà présent dans les poèmes I et III de cette section. Nous avons montré, du reste, dans les remarques générales, que ce poème était une étape dans la Passion dégradée de la jeune catéchiste. La continuité est particulièrement manifeste dans l’opposition[2] entre l’élévation du troisième quatrain du poème III et le retombement de ferveur patent dans le poème qui nous intéresse. Il est notable que ce retombement a été préparé, dans le poème III, par les deux derniers vers du quatrième quatrain, coordonnés aux deux précédents par la conjonction Mais (v. 15), connecteur adversatif introduisant un élément qui contrecarre le précédent.

 L’une des preuves les plus évidentes de la dégradation, du pourrissement de la ferveur de la jeune fille, est précisément dans ce   v. 1. Le mot Vierge est répété dans ce vers qui constitue d’ailleurs une phrase. Mais cette répétition s’accompagne d’une perte de traits sémiques, d’une dégradation lexicale, particulièrement visible dans la perte de la majuscule de majesté, d’une part, et, d’autre part, dans la restriction du sens de la seconde à l’aide d’un complément du nom (« la vierge du livre »). Il y a en effet perte d’une partie du sens de la première occurrence (« La Vierge ») dans la seconde. Nous avons dit qu’elle était restreinte, dans la mesure ou le complément du nom constitue ici une expansion caractérisante (« la vierge du livre » n’est plus exactement la « Vierge »). Rimbaud joue ici sur une référence catholique qui constitue un dogme, un élément du Credo[3]. Il joue d’autre part sur le fait que le mot Bible vient d’un mot grec (biblos) qui signifie livre. En passant d’éléments sacrés, communs à l’Église comme communauté des fidèles (La Vierge, la Bible), à des éléments désacralisés, dégradés, qui n’appartiennent plus qu’au quotidien le plus vil de la catéchiste (celle, rappelons, qui finira aux latrines ensuite), le poète laisse s’installer une perte de ferveur avant même que la première communion soit prononcée (puisque c’est la nuit qui la précède). Cette perte se concrétise par la construction syntaxique attributive (« La Vierge n’est plus que la vierge du livre ») associée à la négation restrictive (ne… que…), elle même renforcée par l’adverbe plus, qui suppose qu’elle a été beaucoup plus que cela.

La construction rythmique du vers est intéressante. Cet alexandrin est quaternaire, découpage considéré comme le plus plat rythmiquement parlant. La césure coupe en deux le groupe verbal copule (être comme verbe attributif est aussi appelé copule, dans la mesure où il constitue une égalité entre deux éléments), ce qui met en valeur la dégradation dont nous faisons la démonstration. La suspension à l’acmé de cet alexandrin sur plus laisse un temps supposer que la Vierge a complètement disparu. Les deux coupes internes aux hémistiches sont enjambantes, scindant en deux morceaux le mot vierge lui même répété avec dégradation (ce qu’on appelle une diaphore, que l’on peut préciser dégradante du reste). Ces coupes enjambantes sont censées, habituellement, rendre le vers plus fluide, mais elles ont aussi la caractéristique de distribuer le signifiant du mot accentué en deux groupes rythmiques, preuve qu’une cassure s’est produite, comme le dit le vers suivant. La construction phonique du vers mérite elle aussi un commentaire. L’allitération en [v] rassemble les éléments, disjoints par le sens, appartenant au champ lexical religieux (Vierge, vierge, livre). L’allitération d’occlusives dures en [p] labial associé à la palatale sourde [k] accompagne l’idée de dégradation par la perte de la douceur liée consubstantiellement au personnage sacré de la sainte-Vierge (cf. « mystique » et « se cassent quelquefois », dans le v. 2).

Notons l’impression presque d’extériorité qui se révèle fortement dans le groupe nominal expansé « la vierge du livre ». La confrontation de ce groupe terminal (à l’apodose, prononcé donc descrescendo) avec le groupe sujet (en début de protase (prononciation crescendo), laisse une impression de quelque chose qui n’a plus d’intérêt. Contradictoirement, l’écho sonore à l’intérieur du groupe nominal terminal (l-v-r/l-vr), le place en situation d’isolement, devenu objet sonore (frappé d’inanité, pour paraphraser Mallarmé).



[1] Cf. à ce sujet l’analyse proposée à la note 3, concernant le point 4 des remarques générales (in « Des pudenda aux stupra » I).

[2] Il n’y a pas contradiction entre la notion de continuité et celle d’opposition, quoi qu’on en pense. Il y a en effet logiquement continuité pour qu’il puisse y avoir opposition. Le tout est de montrer comment cette ferveur devient de la fièvre, comment cette Passion christique devient une extase orgasmique. C’est en ce sens que nous parlons d’une Passion dégradée, voire en cours de dégradation, de pourrissement.

[3] C’est ce que prouve notamment la prière de l’Ave Maria : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est bénie ». L’on sait combien ce dogme de la sainteté de la Vierge et de son Immaculée conception a déchiré la communauté chrétienne.
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