Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les Carnets du vicomte

Les Carnets du vicomte

Les cours de littérature n'étant pas réservés à des jeunes gens, et mes remarques sur la langue française nécessitant d'être partagées, j'ai cru bon de les transmettre par le biais de ces carnets.


Le lyrisme dans « À la lumière d’hiver » (II)

Publié par Le vicomte sur 15 Mai 2012, 15:39pm

5. Le lien entre le langage et envol (dans les sens littéral et métaphorique du terme) est manifeste dès le recueil « Leçons ». Les images sont devenues trompeuses, ce sont celles dont le poète se « couvr[e] les yeux », (p. 11), qui ne peuvent « suivre [le maître] » (p. 12). Ce sont peut-être elles, aussi, qui « nous sépare[nt] du clair » (p. 14) ? Ainsi cryptée, l’imagerie poétique porte tout son poids de langage non pictural : « le lien des mots commence à se défaire / aussi. Il sort des mots. » (p. 19). Le rejet de l’adverbe est particulièrement fort dans ce poème qui s’ouvre sur le mot Muet, non seulement stupéfiant mais aussi ambigu (cet adjectif qualifie-t-il le mort ou les mots ?). « Mur » (p. 20), « montagne en surplomb » (p. 21), « le mur de la montagne » (ibid.), la mort contamine le langage qui se heurte à une sorte de déréliction. C’est dans le poème suivant (« On peut nommer cela…, p. 22), que ce sentiment d’abandon terrible du croyant vis-à-vis de son Dieu sonne funèbrement, à la chute du poème, séparé : « On sent un remugle de vieux dieux. » C’est que les mots sont apparemment impuissants à traduire l’indicible de la mort et de la misère qu’elle entraîne. C’est pourquoi sourdent une hyperbole (« la plus épaisse nuit », p. 22), une métaphore sous condition improbable « l’homme, s’il n’était qu’un nœud d’air » p. 23, ou un pronom indéfini désignant le lointain, « cela » (p. 22). L’essor de la vie se termine en chute, rendant la vie incompréhensible en même temps que sujet éternel de questionnement. C’est pourquoi, chez Jaccottet, la tragédie de l’existence est aussi une tragédie du langage.

6. Deux figures mythiques sont évoquées sous formes d’allusions discrètes, dans ce premier recueil, qui ont un rapport évident à cette tragédie de l’essor humain : Icare et Sisyphe. Les allusions répétées à la bougie qui s’éteint sont reprises de façon métonymique par « la cire qui perdait sa flamme » (p. 25). La suite du tercet en dit long « Et pas de place entre ces lèvres sèches / pour l’envol d’aucun oiseau ». Le mythe d’Icare brûle les lèvres, si l’on peut dire. Ce tercet est presque tout entier sylleptique (il peut être compris en deux sens, l’un littéral, l’autre symbolique), on pourrait parler d’une allégorie. L’envol de l’homme oiseau parabolise idéalement le lyrisme poétique. Icare ou le poète foudroyé. Quant aux allusions à la montagne et à la roche (« un homme (…) ce rocher de bonté grondeuse et de sourire. » p. 27), elles aussi très nombreuses, mais aux connotations inverses de la flamme, elles suggèrent le malheureux Sisyphe. Les retombées de Sisyphe ou le lyrisme essoufflé.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents