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Les Carnets du vicomte

Les Carnets du vicomte

Les cours de littérature n'étant pas réservés à des jeunes gens, et mes remarques sur la langue française nécessitant d'être partagées, j'ai cru bon de les transmettre par le biais de ces carnets.


Les mots sur le trottoir

Publié par Le vicomte sur 23 Octobre 2010, 17:26pm

 

  1.  

  2. "(...) la salle de bal n'est pas décrite , elle n'a qu'une porte qui est mentionnée à la ligne 3"

  3. "Dans le texte C seuls les mots sur le trottoir de la deuxième ligne (...)

     

Les deux exemples qui précèdent viennent de copies en ligne. En tant qu'enseignant-correcteur, je suis partagé entre deux points de vue, qui auraient plutôt tendance à s'affronter : celui de l'élève et celui de l'enseignant. Ces exemples illustrent en effet les conséquences sur la compréhension de propos destinés à être évalués. Chacun des énoncés qui précèdent est censé traduire le contenu d'une idée que le locuteur transmet au récepteur que je suis. Ils sont pourtant tous les trois ambigus, c'est-à-dire qu'ils présentent un défaut syntaxique qui rend impossible leur lecture univoque. L'un d'entre eux donne lieu à la création d'une image involontaire, mais assez drôle. J'ai décidé de l'utiliser pour intitulé de cette chronique.

 

Le premier énoncé est l'analyse d'un texte tiré de La Princesse de Clèves, de Madame de La Fayette. Il s'agissait de s'interroger sur l'importance de la description du cadre (spatio-temporel) pour la narration. La proposition en rouge est composée d'une principale (sujet + verbe+complément) et d'une subordonnée relative (introduite par le pronom qui). L'élève, s'il a bien lu le texte, constatera en effet qu'il n'est question que d'une porte, dans la description très sommaire de la salle de bal où a lieu l'action. Cependant, en choisissant une subordonnée relative, il dit que cette salle n'a qu'une porte, qui est mentionnée. Le seul moyen de lever cette ambiguïté est d'utiliser la préposition de. Elle n'a qu'une porte de mentionnée.

 

Comment expliquer cette ambiguïté ?

a. Elle n'a qu'une porte qui est mentionnée, revient à dire Elle n'a qu'une porte / mentionnée(la subordonnée relative a ici le même rôle qu'un adjectif, mais elle a un rôle secondaire dans l'énoncé, qu'on interprète en partant de la principale).

b. Elle n'a qu'une porte de mentionnéediffère en ceci que le groupe de+adjectifjoue le rôle d'un attribut de l'objet. L'utilisation de la préposition deen ce cas répond à un besoin de distinguer la construction à attribut de l'objet et la construction à adjectif épithète. Une porte de mentionnées'analyse donc comme la proposition une porte est mentionnée. C'est donc un groupe de même importance syntaxique que celui qui précède. L'interprétation de la phrase est alors décidée par l'association de deux contenus : [une seule porte] + [une porte mentionnée]. La possibilité qu'il y ait d'autres portes est donc, logiquement, accessible au récepteur.

 

Cet énoncé serait encore meilleur si l'on avait évité l'utilisation de la négation restrictive (ne... que...). Celle-ci, particulièrement imposante dans l'interprétation de la signification de l'énoncé, ne laisse que peu de place à la proposition qui suit, même de niveau syntaxique identique.

 

Plus simple et plus drôle, le second énoncé m'a presque séduit. En ne respectant pas l'usage des guillemets pour la citation "sur le trottoir", l'élève actualise ainsi ce complément circonstanciel, c'est-à-dire qu'il s'intègre dans l'énoncé. L'usage des guillemets aurait permis de montrer au correcteur que ces mots sont à prendre en mention, autrement dit comme du discours direct émanant de l'auteur étudié. Les mots sur le trottoir, voilà une image qui aurait plu aux surréalistes, à Robert Desnos et à André Breton particulièrement. Hélas, le devoir de français n'est pas le lieu de l'image surréaliste, mais celui de l'analyse.

Cela me fait penser à un propos d'André Gide, dans son autobiographie intitulée Si le grain ne meurt. L'un de ses professeurs de lycée lui reprochait un mauvais choix dans l'alliance de deux mots. Celui-ci prétend avoir répondu : "Que voulez-vous, en matière de mots aussi, j'e préfère les mauvaises rencontres." Il est peu probable qu'il l'ait véritablement répondu, mais la trouvaille était jolie. Comme dit le proverbe italien "Se non è vero, è bene trovato", 'Si ce n'est pas vrai, c'est bien trouvé".

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