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Les Carnets du vicomte

Les Carnets du vicomte

Les cours de littérature n'étant pas réservés à des jeunes gens, et mes remarques sur la langue française nécessitant d'être partagées, j'ai cru bon de les transmettre par le biais de ces carnets.


Journal IV

Publié par Le vicomte sur 9 Février 2011, 08:31am

Catégories : #mon journal

 

Vendredi 16 juillet 1999

Je reprends peu à peu des forces. Je me sens revenu à un bon niveau de concentration. Je me suis lancé tout à la fois dans un dictionnaire personnel, dans mon vocabulaire anglais, dans Duby, de temps à autre dans Poiesis. Ah, pouvoir ne travailler que le minimum pour les autres, sinon à ne faire que ce que je sais et aime faire ! Et passer mon temps dans les dictionnaires. J’ai repris La Bruyère, que je n’avais pas lu depuis plus de cinq ans. Quantité de choses à méditer, qu’on ne peut pourtant pas citer, tant elles occuperaient de place. Besoin de m’accommoder à cette langue, à cette pensée, pour ne pas en être accablé. J’ai jusqu’ici très mal compris, lu et apprécié le dix-septième. En le lisant, je m’aperçois, à l’instar de Colette, que c’est dans le plus simple en apparence que résident les subtilités de notre langue. Il me faut le Littré, à défaut du Hatzfeld et Darmesteter ou du TLF.

 

Jeudi 22 juillet 1999

Si je pouvais seulement avoir un peu plus de temps à moi pour continuer à m’instruire (c’est là ma passion), à lire et à écrire (ce sont là mes métiers, mes mestiers) ! Comme la vie serait belle et heureuse. Au lieu de quoi il faut penser comme un mercenaire, à la recherche d’une solde qui vous prend tout votre temps. Quand je pense qu’une majeure partie des Français ne lisent plus, ou si peu, et trouvent ennuyeux le moindre roman ! On ne peut pas arguer de leur médiocrité. Alors quoi ? Sommes-nous devenus bêtas à force de nous laisser imposer par l’importance du travail ? Rien de moins essentiel que cela, et pourtant, quoi de plus important dans notre vie ? Je ne veux pas faire ainsi pour ma vie. Le travail fait appel à notre instinct grégaire le plus vil, sa perte nous plonge dans des abîmes de désespoir ; nous sommes ainsi plus attachés à notre subsistance qu’à autre chose, comme des bêtes sauvages dans un milieu hostile. D’avoir mis le travail en tête des préoccupations (notamment ceux qui en privent une partie conséquente de notre population), nous donne l’air de philistins. C’est là un nouvel esclavage : chacun de nous mendie sa vie dans une journée de huit heures.

 

Vendredi 23 juillet 1999

Je m’avise, en lisant les lettres de Balzac à Mme Hanska, qu’à partir de 1834 il ébauche le système de son œuvre, dont il parle plus que de ses œuvres elles-mêmes. Il en connaît dès lors le plan général. Étonnante aussi, cette manière qu’il a de construire certains romans comme contrepoids, pour contrebalancer un autre, et du même coup, pour équilibrer l’ossature. (voir lettre du 16 janvier 1835, où il parle de Sœur Marie-des-Anges, qui viendra s’inclure dans les Mémoires de deux jeunes mariéeset qui met en scène « un Louis Lambert femelle »). Je ne me doutais pas de cela. Et, dans le même temps, il me semble que cela humanise son travail qui me semblait formidable et surhumain. Dès lors qu’on peut s’appuyer sur les travaux précédents, et qu’on suit, tant soit peu, le fil de ce qu’on vient de terminer, ou de ce qu’on a parallèlement débuté, la philosophie générale vient presque d’elle-même. Il faut seulement une bonne mémoire, une grande confiance en soi, et beaucoup de temps à sa disposition pour suivre une pensée qui va très vite. C’est une autre façon de faire pour Zola. Chez lui c’est une cascade ; chez Balzac c’est l’Amazone, avec tous ses méandres.

 

 

Vendredi 6 août 1999

Que d’énergie je perds en essayant de rétablir des situations compliquées; causées par l’insouciance du personnel d’une administration qui devrait bien fonctionner. Ces préoccupations-là sont moins nobles que celles de Gide et de Balzac, mais ma foi, elles ne sont pas glorifiantes ! Je lis toujours les Lettres à Madame Hanska, où les fanfaronnades de Balzac m’enchantent. J’y crois détecter le mensonge, l’art suprême par lequel on s’en laisse conter, ou accroire, parce que cet homme sensuel et débordant de vie tente de passer pour un cénobite auprès d’une comtesse polonaise qu’il aime passionnément et (du moins à ce qu’il laisse entendre) séraphiquement. Il faudrait étudier toutes ses œuvres de la période 1835-38, (Le Lys dans la vallée, La Femme de trente ans, La Vieille Fille, Séraphîta), et les comparer à cette création de soi dans la correspondance, autour d’une philosophie éthique qu’il développe aussi dans ses romans. Mme Hanska ne paraît pas être sa seule égérie. Etonnant comme il justifie sa création par deux impératifs concomitants : l’argent et la passion amoureuse. Concomitants, parce que Balzac ne cherche pas seulement à éponger ses dettes, il veut avoir assez d’avance pour pouvoir aller en Ukraine chez les Hanski. Être amoureux comme il se doit, c’est avoir assez d’argent pour partir deux mois, vivre comme un dandy. Partir conter fleurette, c’est grossir ses dettes, et retarder les créations en cours, donc travailler plus pour gagner plus. C’est un cercle vicieux. Et je n’aurais pas nommé Balzac : Prométhée, mais Sisyphe comme il le fait lui-même.

Il faudrait s’efforcer sans cesse à s’améliorer, non point à être parfait, ni même à se perfectionner, mais à s’équilibrer. Et se dire chaque jour : qu’ai-je fait pour progresser ?

Les puces m’ont assailli depuis deux semaines, à un tel point que je ne puis plus écrire sans une certaine dose de stoïcisme. Continuer à me concentrer dans ces conditions est un véritable tour de force.

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